En premières lignes...
L'issue
Cela faisait maintenant six jours qu'Omer était cloué au lit par une obscure maladie. Son médecin, qui lui rendait visite chaque semaine, ne parvenait pas à rattacher les symptômes observés à une pathologie précise et, comme Omer refusait obstinément de quitter son lit, il ne pouvait s'appuyer sur aucun des examens complémentaires qui se seraient imposés et qui auraient certainement établi le diagnostic. De fait, il en était réduit à prescrire des médications symptomatiques qui traitaient les conséquences du mal sans s'attaquer à ses racines. Le toubib avait beau menacer Omer de l'hospitaliser sous la contrainte, rien n'y faisaitæ. Et s'il avait jusque là renoncé à passer à l'acte, c'est parce que le pronostic vital n'était pas, pour le moment du moins, engagé. Depuis qu'il avait pris sa retraite et mis en gérance Home'Hair, son salon de coiffure du rez-de-chaussée de l'immeuble, Omer cumulait les soucis de santé.
C’était probablement à cause de cette odeur que ma mère ne s’y aventurait jamais, ne serait-ce que pour passer un coup d’aspirateur. De toute façon, j’aurais vigoureusement protesté face à toute intrusion dont l’intention aspiratoire aurait non seulement violé mon intimité, mais menacé mon existence. Intimité toute relative au demeurant, car à plusieurs reprises et sans être le moins du monde parano, j’avais eu la nette impression qu’on collait un micro contre la paroi de mon logis, vraisemblablement pour m’espionner. Si ça se trouve, on m’avait également filmée. Sans mon autorisation, bien entendu. En contrepartie, j’avais demandé à ma mère celle de punaiser des posters aux murs pour égayer un peu la pièce. Plusieurs mois ont passé et j’attends toujours la réponse. Alors il ne fallait pas s’étonner si, de temps à autre, je pétais un câble et donnais des coups de pied dans les cloisons.
Papa - enfin celui qui prétendait l’être - avait décrété qu’il ne pouvait pas me loger chez lui. Un problème de compatibilité ou de configuration des lieux, je ne sais plus. Je l’avais échappé belle ! En revanche, il venait nous rendre visite de temps en temps. Le soir en général, mais il arrivait que ce soit en pleine journée ou même au milieu de la nuit, sans crier gare. Je n’appréciais guère ses allées et venues. Ça agitait toute la maisonnée. Alors quand je l’entendais se pointer avec ses gros sabots, disant à maman « je vais faire un p’tit coucou à bébé », je me claquemurais dans ma piaule et il avait beau frapper de toutes ses forces, ma porte demeurait close. Pourquoi m’appelait-il « bébé » au fait, alors qu’entre eux ils se surnommaient déjà ainsi. Ça n’a aucun sens une famille de bébés. On m’a déjà affublée d’un prénom que je sache ! Mais de cela, nous reparlerons plus tard... Heureusement, au bout de cinq à six tambourinages infructueux, il poussait un grand soupir plaintif et se retirait. Il n’était guère endurant, et cela m’arrangeait plutôt. Quel calme quand il les avait vidés, les lieux ! Il avait beau gémir, je ne céderais pas. Si ma mère acceptait de le laisser pénétrer dans l’entrée, ça la regardait. Mais il ne franchirait jamais la porte de mon repaire, mon père. Mon père ?
À ce propos, comme je le supputais, quelque chose ne collait pas. Un soir qu’il martelait ma porte, j’avais regardé par le trou de la serrure et je n’avais pas reconnu celui qui m’avait déposée chez maman le jour de mon emménagement chez elle. Et chaque fois que j’avais vérifié, c’était le même type qui essayait de forcer l’entrée à grands coups de butoir. Il faudra que maman m’explique. En tout cas, celui-là, je l’avais bien photographié. Je le reconnaîtrais entre mille. Une vraie tête de nœud !
Bon, maintenant ça suffit : je fugue, je me casse, je me carapate, je me fais la belle. Ce n’est plus vivable ici. Au début, tout baignait, mais quand un cagibi n’est plus qu’un débarras, eh bien bon débarras ! Ça tombait bien, ma mère en avait marre elle aussi et ça faisait déjà quelques jours qu’elle menaçait de m’expulser. Même si ça me convenait, quand on y pense, mettre sa fille à la porte, faut pas pousser quand même ! Eh bien si justement, elle était en train de pousser. De me pousser dehors, et avec une belle énergie encore.
à suivre...
Déjà handicapé par une obésité morbide et des dorsalgies en rapport avec son ancien métier, il avait développé une broncho-pneumopathie chronique obstructive et un diabète avec les risques de complications qui sont livrés avec. Toujours est-il que cela faisait près d'une semaine que le plafond de sa chambre constituait son unique horizon, son surpoids et son mal de dos l'empêchant de se mouvoir dans le lit et de changer de position comme il l'aurait souhaité. Il en connaissait maintenant la géographie par coeur et pouvait décrire les moindres détails des corniches qui en faisaient le tour et des moulures qui ceignaient la fixation du plafonnier.
Célibataire endurci, les repas lui étaient livrés par les services communaux pour la durée de son alitement et une aide-soignante passait tous les jours pour assurer l'hygiène corporelle, la préparation du pilulier et les soins, des massages anti-escarres pour l'essentiel. C'était là ses seules distractions, la lecture et le visionnage de la télévision lui occasionnant des cervicalgies insupportables. Il ne fallait pas non plus compter sur des visites pour rythmer ses journées : fâché avec les quelques parents qui lui restaient pour des secrets de famille bien entretenus alors que plus personne n'en connaissait la genèse, et n'ayant pas vraiment d'amis, ses relations se limitaient à deux ou trois anciens clients, sans oublier Lulu, une professionnelle du fast-sex qu'il coiffait à l'occasion et qui passait le 5 de chaque mois, après qu'il eût touché sa retraite, pour lui assurer vite fait un petit plaisir mécanique.
à suivre...